Vieillissement et Sexualité Le paradoxe

Vieillissement et Sexualité

Le paradoxe


    

 

« Si je hais ma vieillesse, elle va me haïr.

Mais, si j’apprends à l’aimer, peut-être m’accordera t’elle d’aimer encore… »

                                                                                              Lorenzo de Médicis


L’approche de la sexualité de l’adulte vieillissant et à fortiori du vieux confronte le chercheur à un profond paradoxe entre l’idée qu’on s’en fait et sa réalité. Cette idée, c’est, en quelque sorte, de penser que la vie érotique, carrefour des plus embouteillé de l’existence de l’adolescent et de l’adulte,  devrait se vider de tout contenu après la soixantaine et que l’âge évacuerait toutes les joies et toutes les impatiences qui furent le lot de l’individu des années durant.

La réalité est pourtant différente : la révolution qui depuis trois décennies a bouleversé nos sexualités et nos couples concerne aussi les seniors et, si le sexe vieillit, les formidables progrès de la médecine sexuelle ont permis d’en modifier profondément le pronostic et, par là même, la pertinence. Et pourtant, quelle difficulté à porter un autre regard que celui de l’exclusion sur la sexualité de nos aînés ! C’est d’autant plus regrettable que nous avons tous pu constater dans notre expérience clinique que l’amour pouvait être au centre des mécanismes de résistance aux handicaps ou au vieillissement, capable à lui seul parfois de faire échec à la maladie. Il suffit de regarder deux amoureux dans la phase de lune de miel … quel que soit leur âge, ils sont rayonnants.

Lever ce paradoxe est indispensable pour redonner sa juste place -  son rôle déterminant - à la sexualité dans le « bien vieillir » et permettre aux soignants  de mieux fonder leur légitimité à la prendre en charge. Ce dossier a pour objet de les y aider.

 

Que faire du bonus calendaire que nous octroie l’évolution démographique?

 

S’il est une certitude, c’est que la durée de notre vie augmente. Selon des sources OMS en 2012 et INSEE en 2014,  le nombre de personnes de 60 ans et plus augmenterait, à lui seul, de 10,4 millions entre 2007 et 2060. En 2060, 23,6 millions de personnes seraient ainsi âgées de 60 ans ou plus, soit une hausse de 80 % en 53 ans. (Robert-Bobée I. Projections de population 2005-2050 : vieillissement de la population en France métropolitaine. Econ Stat. 2007;408(1):95-112). Quant à la longévité elle pourrait atteindre 120 ans, et près de 150 000 centenaires sont prévus en 2050 (Projections démographiques pour le Canada, les provinces et les territoires, 2005–2031. Ott Stat Can 2005). Autre certitude c’est que l’on vieillit mieux, avec beaucoup moins de handicaps, les progrès technologiques et médicaux les plus récents permettant d'améliorer la qualité du vécu de cette avancée en âge(Les espérances de vie en bonne santé des Européens. Disponible sur: http://www.ined.fr/fichier/t_publication/1639/publi_pdf1_population_societes_2013_499_esperances_vie.pdf). 

En somme, les « Seniors » représenteront à l'horizon 2030 plus du tiers de la population occidentale et Ils sont soutenus par une espérance de vie et de qualité de vie encore jamais connue à ce jour dans l'histoire de l'humanité.

Un nouvel espace de vie, et de vie active, s'offre aujourd'hui à nous après le cap des 55 ans, et cela, pour plus du tiers de notre vie. Mais ce qui reste un mystère, c’est la façon dont nous vieillirons. Le sens que chacune ou chacun d’entre nous va donner à ce bonus calendaire va s’avérer différent. Certains réussiront à rendre cette tranche de vie passionnante et d’autres trouveront ces années bien longues. Pas de feuille de route bien définie car c’est au moment où la vieillesse devient la plus certaine, la plus durable et la plus confortable qu’elle devient aussi la moins pensable.  En somme, nous assistons à une lente et difficile reconfiguration des âges de la vie (E.Deschavanne, PH.Tavoillot, Philosophie des âges de la vie, Pluriel, 2011, p17-22): à la formidable mutation démographique que nous venons d’évoquer, deux autres dimensions participent à ce processus : La première, c’est l’avènement de l’être humain individuel comme valeur suprême et principe fondateur de la société. Par là même, devenant l’objet social le plus précieux, sa sécurité, son confort et son bonheur s’imposent comme priorités absolues.  Deuxième dimension, les représentations culturelles et spirituelles volent en éclat : Si jadis on disposait de discours qui nous disaient ce qui devait se vivre à chaque âge de la vie, les modèles traditionnels de la vieillesse nous apparaissent aujourd'hui bien obsolètes, impropres à constituer carte et boussole pour nous guider dans ce nouvel âge de la vie.

Si économistes, politiques, sociologues et philosophes s’y attellent, penser le vieillissement est un formidable challenge pour les médecins. L’OMS ne s’est pas trompée lorsqu’elle a consacré la journée mondiale de la santé du 7 Avril  2012 au thème de la santé et du vieillissement.

 

 

 

Du « bien vivre » et du « bien vieillir »

Voltaire avait déjà cette intuition lorsqu’il écrivait « j’ai décidé d’être heureux parce que c’est bon pour la santé » et c’est elle que vont confirmer les meilleurs experts de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) réunis pour donner une nouvelle définition à la santé : « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social ». En somme, « la santé devient un moyen pour atteindre le bien-être, devenu le but recherché par les êtres humains » (Liss, 1996). Cette prise de conscience donne à la qualité de vie un rôle moteur fondamental dans la prévention et la genèse des maladies. Dans ce sens, soigner, ce n’est plus seulement retarder la mort, c’est aussi concourir à améliorer la vie. Des études à bon niveau de preuves nous montrent par exemple que des patients atteints de troubles de l’érection peuvent guérir en démarrant une activité physique régulière, en perdant du poids ou en retrouvant du désir et du plaisir dans leur vie(Thomas G. Travison Ph, The Natural Progression and Regression of Erectile Dysfunction: Follow-Up Results from the MMAS and MALES Studies, The Journal of Sexual Medicine, Volume 8, Issue 7, pages 1917–1924, July 2011). Comprenons bien : si la capacité du système biologique d’un individu à fonctionner augmente au cours des premières années de la vie, atteint son maximum au début de l’âge adulte et décline naturellement ensuite, la rapidité de ce déclin est déterminée par nos comportements et par ce à quoi nous sommes exposés au cours de notre vie. Autrement dit, le « bien vieillir » dépend du « bien vivre ». Ainsi, faire d’un phénomène subjectif - le bien-vivre-  le pilier d’une santé moderne va entraîner la mesure de nouveaux paramètres lorsqu’il s’agit de santé : amour, niveau de vie, liberté, environnement, plaisir, relations intimes, affectives et sociales, bref, tout ce qui concourt au sentiment de bonheur. L’humain vieillissant a besoin d’un élan, d’une énergie pour continuer à  donner du sens à sa vie et entrevoir des perspectives de bonheur. Et, quand on demande aux françaises et aux français (Enquête CREDOC : L'évolution du bien-être en France depuis 30 ans Décembre 2012) : « quelles sont les modes de vie ou activités qui vous paraissent les plus importantes pour votre bonheur ? » Elles et ils répondent pour 45% d’entre eux : « être bien dans leur relation amoureuse et de couple » et pour 41% d’entre eux: « se faire plaisir, ce qui signifie pour 79% faire l’amour.» Voilà de quoi fonder la légitimité pour tous les soignants à s’intéresser à la santé sexuelle de leurs patient(e)s vieillissants.

Aider les plus âgés à continuer à s'aimer: Comment prendre en charge leur sexualité ?

« Je prends ce médoc (un IPDE5), c’est ça. Toute cette turbulence, ce bonheur, je les dois à ce médoc. Sans ce médoc, je  ne vivrais rien de tout ça. Sans ce médoc, j’aurais une image du monde et des intentions différentes. Sans ce médoc, j’aurais la dignité d’un vieux monsieur libéré du désir, résigné…  »

                                               P. ROTH, The human Stain, 2000

 

Qu’en est-il de la sexualité des personnes vieillissantes (PV) ?

C’est peu de dire que la sexualité des PV a changée. Elle se maintient et de nombreuses enquêtes prouvent que le vieillissement ne sonne pas le glas de la vie sexuelle. D’abord, dans l’intérêt qu’elles y portent : Une enquête américaine (Brecher EM. Love, sex, and aging: A Consumers Union report. Mt. Vernon, N.Y: Consumers Union; 1984. 441 p.) auprès de 4 246 hommes et femmes de 60 à 93 ans nous dit que la moitié des femmes et les trois quarts des hommes conservent un intérêt actif pour l’amour physique. Et, quand on demande aux intéressés l’âge au-delà duquel « le ticket n’est plus valable », comme le dirait Romain Gary, c’est toujours l’âge du dessus : c’est ce que démontre une enquête effectuée en 2004 sur 29 pays et 26 000 personnes (Laumann EO et al. Sexual problems among women and men aged 40-80 y: prevalence and correlates identified in the Global Study of Sexual Attitudes and Behaviors. Int J Impot Res. févr 2005;17(1):39 57) : les quadragénaires pensent que la vie sexuelle diminue vers 60–64 ans : les quinqua, plutôt autour de 70 et pour les sexagénaires, plutôt autour de 75 ans…  S’agissant des relations sexuelles proprement dites, une étude réalisée aux États-Unis (Lindau S, et al. A study of sexuality and health among older adults in the United States. N Eng J Med 2007;357:762-74) sur leur prévalence chez 3005 hommes et femmes âgés de 57 à 85 ans, , révèle que 75% des personnes âgées de 57 à 64 ans, 53% des 64-75 ans et 26% des 75-85 ans ont eu des relations sexuelles durant l’année écoulée.  Quant aux autres, après 85 ans, une étude un peu ancienne sur 202 personnes âgées de 80 à 102 ans (Bretschneider.J, Sexual interest and behavior in healthy 80-102 years old, 1999) révèle que 82 % des hommes et 64 % des femmes avaient des rapports de tendresse et que 72 % des hommes et 40 % des femmes se masturbaient. Quant à l’intimité, elle n’est pas à l’écart des bouleversements contemporains et les veuvages éternels appartiennent de plus en plus à l’histoire : selon des données INSEE (Francoscopie 2010), les divorces ont été multipliés par 3,5 en 35 ans chez les plus de 60 ans et les remariages ont été de 22% de  60 à 69 ans et 9% après 70 ans. Pas besoin de dérouler d’autres publications pour qu’un premier message s’impose à tous les soignants : le postulat selon lequel l’activité sexuelle s’éteint normalement avec l’âge est une idée reçue. Nos vieux sont encore dans la vie et il faut les considérer comme nous même : des êtres sociaux (capables de rencontre) avec des besoins individuels (la sexualité). Ça continue donc, à condition… qu’ils puissent avoir accès à une prise en charge

Comment aborder cette prise en charge ? Dans un premier temps, il est important de rappeler quelques données fondamentales qui nous permettrons de charpenter le dialogue avec le patient et lui permettre de comprendre ainsi la démarche thérapeutique.

 

Le sexe vieillit-il ? OUI. Il n’y a aucune raison que le processus de vieillissement physiologique n’affecte pas la sexualité. Comprenons :

  • La paresse sensorielle : Notre excitation sexuelle est, entre autres, le fruit de nos sensations et le vieillissement sensoriel les émousse. Par exemple, la diminution des perceptions olfactives du fait de la diminution de l’odorat et  celles des perceptions tactiles du fait des modifications vasculaires de la peau sont autant de stimuli sensoriels qui perdent de leur intensité. Une étude récente (Colson MH, Lemaire A, Pinton Ph., Hamidi K, Klein P. « Sexual behaviors and mental perception, satisfaction and expectations of sex life of French people" , 2006, J of Sex Med, 3:121-131) signale une redistribution avec l’âge des stimuli permettant l’excitation. L’odorat voit son rôle décliner de moitié dans le déclenchement de l’excitation (30% pour les 35-39ans, et 15% pour les plus de 70 ans). Il en est de même pour l’ouïe (12% de 35 à 39 ans et 6% après 70 ans). En revanche, la vue reste un sens très « déclencheur » de l’excitation, sans modification avec l’âge, y compris chez les plus âgés, et dans les deux sexes. Comme le décrivait fort justement un de mes patients : « là où avant il me suffisait de regarder pour avoir une érection, aujourd’hui, il me faut regarder, toucher et être touché… »
  • Le déclin hormonal : Chez la femme, l’évènement physiologique incontournable est la ménopause qui marque l’arrêt brutal de la fonction reproductive. Elle survient généralement entre 45 et 55 ans. Chez l’homme, il n’y a pas d’arrêt de la sécrétion des androgènes mais leur diminution a commencé dès l’âge de 20 ans avec la baisse d’activité testiculaire et cortico-surrénalienne et va s’accentuer au fil du temps.

 

Au total, les effets de l’âge sur la sexualité de la femme et de l’homme peuvent être listés en sachant que les facteurs psychologiques et existentiels (Vie amoureuse ou absence de vie amoureuse, Solitude, Relation de couple égalitaire, inégalitaire ou violente, Historique sexuel, Capacité à accepter un corps qui change : prise de poids, blanchissement des cheveux, relâchement de la peau, Accès aux soins de santé) jouent un rôle essentiel au niveau de leur expression

 

Les effets de l'âge sur la sexualité de l'homme

 

Au niveau de l'érection

Érection plus lente à obtenir

Érection moins ferme et complète

Perte d'érection plus rapide après l'orgasme

Période réfractaire plus longue avant une autre érection

Nécessité d'une plus grande stimulation sexuelle

 

Au niveau de l'orgasme

Désir, besoin et capacité d'orgasme en baisse

Moindre force de l'éjaculation

Période réfractaire plus longue avant le prochain orgasme

 

 

Les effets de l'âge sur la sexualité de la femme

 

Au niveau physiologique

Baisse et arrêt du taux d'œstrogènes et de progestérone

Lubrification vaginale plus lente et moins abondante

Grandes lèvres s'amincissent

La réaction du clitoris demeure égale

Affaissement des seins dû à la réduction de la glande mammaire

 

Au niveau de l'orgasme

Contractions orgastiques moins vigoureuses et fréquentes

Diminution de la myotonie générale

Sensations érotiques moins intenses

 Aucune perte de la capacité multiorgasmique

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il est indispensable de comprendre ces modifications physiologiques et d’en parler clairement avec les patients. Bien que ces modifications ne soient pas des maladies, elles sont susceptibles d’être améliorées par des traitements. Si la ménopause n'est pas une maladie, pour autant il y a un traitement.

A côté de ce vieillissement physiologique, les pathologies rencontrées dans l’existence ainsi que leurs traitements peuvent retentir sur la sexualité. Après cinquante ans, la prévalence des maladies s’élève avec l’âge. J’en citerai ici deux qui sont  couramment rencontrées dans nos consultations

  • Maladies cardio-vasculaires et troubles de l’érection : l’association d’un diabète, d’une Hypertension artérielle, d’une affection coronarienne, d’un syndrome métabolique avec une dysfonction érectile a été parfaitement mise en évidence ces dernières années et clairement démontrée dans de nombreuses études de cohorte.
  • Pathologies liées aux douleurs et à la mobilité : du fait de la diminution de l'élasticité des muscles et des tendons et de l’altération des cartilages responsable de l'arthrose, les douleurs articulaires et la perte de mobilité peuvent affecter  la sexualité pour 51% des plus de 75 ans (Badley EM, Webster GK, Rasooly I. « The impact of musculoskeletal disorders in the population: Are they aches and pains? Findings from the 1990 Ontario Health Survey ». J Rheumatol 1995; 22(4):733-739). Ainsi, on rapporte un niveau de désir significativement plus bas chez les hommes souffrant de troubles rhumatismaux et de douleurs chroniques (Blake DJ, MaisiakR, Koplan A, Alarcón GS, Brown S. « Sexual dysfunction among patients with arthritis ». 1988, Clin Rheumatology. 7 (1) 1988).

En fin de compte, le médecin évalue le retentissement du vieillissement, physiologique et pathologique, et traite ce qui peut l’être. Par exemple, un homme diabétique de 70 ans présentant une dysfonction érectile(DE) se verra proposer un traitement de sa DE et une équilibration de son diabète.

Y a-t-il des freins à cette prise en charge ? OUI

L’âgisme est un des principaux freins. Nous avons vu précédemment que les représentations que nous avions de la vieillesse étaient obsolètes pour penser le vieillissement contemporain. Cela ne veut pas dire qu’elles ne gouvernent pas encore nos esprits. On appelle «âgisme» le fait de considérer des personnes ou des groupes au travers de stéréotypes, le plus souvent erronés, en raison de leur âge. Ceux qui adoptent cette attitude considèrent que les seniors sont fragiles,  plus «dans le coup», physiquement faibles et lents mentalement… Ils ne peuvent pas faire un sport physique, ils n’ont plus de sexualité ...etc. Concernant la prise en charge, l’âgisme va inhiber les patients et conditionner  négativement les médecins.

  •  

Ecoutons Louis, 71 ans, venu me consulter après sa rencontre avec Marie, lors d’un voyage que ses enfants lui ont offert pour le sortir d’un veuvage de plus de 8 ans, à la suite de la lecture d’un article dans le journal sur la sexualité des seniors disant qu’il est possible de soigner les défaillances de la sexualité et qu’il faut en parler à son médecin. Mais il a honte car il pense que c’est « totalement foutu » pour lui.

« D’abord,  j’ai 71 ans et ce n’est plus de mon âge. C’est un peu ridicule de vouloir s’accrocher. Ne croyez vous pas, Docteur ? »

 

« En plus, je suis déjà soigné pour ma tension et ma prostate. C’est tellement secondaire à côté, mon problème sexuel. »

A l’étage du patient : il entraîne de la honte qui va déboucher trop souvent sur un renoncement quant à la prise en charge et sur une résignation quant à sa vie sexuelle.

 

 

 

 

 

La honte de sa demande sexuelle

                Du fait du Regard de la société

 

La honte de sa demande thérapeutique

                Du fait de sa légitimité médicale

 

 

 

  • A l’étage du Soignant : une thèse qualitative (réalisée en 2016 par Léïla Cousseau et  intitulée «Des représentations aux résistances des médecins généralistes à aborder la sexualité avec leurs patients âgés » met en évidence la persistance chez les médecins d’idées reçues péjoratives concernant la sexualité des PV. L’absence ou le manque d'intérêt pour la sexualité qu’ils attribuent à leurs patient(e)s  aurait donc un double effet sur l'abord de la sexualité en consultation. D’abord, l'absence de demande  des patients conditionne les médecins à imaginer un désintérêt sur ce sujet de leur part et ensuite les incite à ne pas être proactifs.

 

 

«Des représentations aux résistances des médecins généralistes à aborder la sexualité avec leurs patients âgés » Florilège de propos « stricto sensu »

  • La sexualité des personnes vieillissantes se résumeraient à une sexualité « platonique » selon la majorité des médecins interviewés : « Tout est émoussé, ils peuvent s'embrasser mais après ça ira guère plus loin, hein. Le reste c'est le souvenir du passé, on peut le voir comme ça. » ou encore : « les petits câlins, les petits bisous, voilà. ».
  • Elles s’accommoderaient sans problèmes à ces changements : « Ils peuvent très bien avoir une sexualité simplement dans les sentiments, pas forcément de sexualité active. Avoir que des caresses, des choses qui leur conviennent bien tout à fait à partir d'un certain âge. Mais sans forcément avoir une relation sexuelle complète… ou encore : « Peut-être qu'ils ont une sexualité moins épanouie mais ce qu'ils vivent leur suffit
  • On retrouve également des représentations sur les modifications des fonctions sexuelles. Ainsi, les personnes âgées n'auraient plus de désir, plus de plaisir: « ce n’est pas le même désir, la même fin… rien n’est pareil… l’homme à partir d’un certain âge peut très bien continuer à bander mais il ne peut plus jouir…  je pense que le plaisir s'en va et, si vous voulez, ça règle le problème… »
  • La sexualité n'intéresserait plus les personnes âgées : « voilà je pense qu'ils ont peu d'intérêt pour la sexualité, c'est surtout ça. » ou encore : « y’a des des personnes âgées qui ont un peu ce bon sens et qui disent, je comprends bien que je peux pas être comme à 20 ans, bon beh voilà ils l’ont dit… »
  • Certains se positionnent même en tant que moralisateurs sur ce sujet, comme garants du bon et du mauvais, du normal et du pathologique : « Je pense enfin, euh, avec mon recul, à la limite, la normalité c'est les gens qui se calment alors que les anormaux se sont ceux qui se sont pas calmés… » ou encore : « il faut accepter que chaque âge a ses plaisirs ouais, et il faut accepter l'évolution… En définitive, je pense qu'il vaut mieux accepter l'évolution naturelle parce que le reste c'est contre-nature. Et à aller contre-nature, à un moment donné on se casse les dents.»

 

 

La difficulté à concevoir une autre sexualité est un autre frein 

La continuation de la vie sexuelle avec l’avancée de l’âge nécessite ce que certains considèreront comme une profonde mutation et d’autres comme de simples adaptations.  C’est une exigence lorsqu’on veut vieillir en restant actif, aimé et aimant car le risque pour le sujet âgé de maintenir la référence à une sexualité antérieure idéalisée l’emmène à préférer arrêter toute activité sexuelle plutôt que de défaillir. Par exemple, ce patient nécessitant une résection de son adénome prostatique et qui me dit préférer arrêter sa vie sexuelle plutôt que d’avoir une éjaculation rétrograde. Ce processus de réaménagement est classique lorsqu’on vieillit. Le concept de déprise (V. Caradec, Vieillir après la retraite, Paris, PUF, 2004, chap 4) en  rend compte. La déprise peut être définie comme le processus de réaménagement de l’existence qui se produit au fur et à mesure que les personnes qui vieillissent doivent faire face à des difficultés accrues. En pratique clinique, il peut s’agir de l’installation d’une maladie (diabète, hypertension, coronaropathie, cancer ou d’évènements de vie (retraite, veuvage, divorce, deuil …). Le pianiste Arthur Rubinstein nous permet de l’illustrer (P. Baltes, L’avenir du vieillissement d’un point de vue psychologique : optimisme et tristesse, in J. Dupâquier (dir), L’espérance de vie sans incapacités, Paris, PUF, 1997) : certains morceaux complexes  du répertoire lui devenaient difficiles à interpréter en raison de sa mémoire et de son arthrose diminuant l’agilité de ses mains lors des rythmes trop rapides. Soucieux de continuer à se produire sur scène, il trouva la solution : il a réduit son répertoire en le limitant à quelques morceaux où ces problèmes ne se posaient pas (sélection) puis il a mis son génie au service de ces morceaux choisis en les travaillant intensément (optimisation) et en ralentissant progressivement la mesure (compensation).

 

Quelques pistes pour cette mutation érotique

 

  • Le « Slow Sex » : permet d’explorer une sexualité plus lente où le voyage érotique est plus important que la destination (l’orgasme). Le fait de prendre le temps et le laisser à l’autre permet de découvrir de nouvelles sensations et de nouvelles émotions. (Marie de Hennezel, Sex & Sixty ; R.Laffont, 2015 p143-144). Cette lenteur et cet approfondissement des caresses permettent  de pallier au décalage entre la stimulation érotique et les réactions sexuelles ralenties (érection et lubrification) et à la paresse sensorielle par l’enrichissement des stimulations.
  • Redonner sa place au désir: les modifications hormonales diminuent l’appétit sexuel (la pulsion). La sexualité n’est alors plus besoin et devient désir de l’autre : désir de partage émotionnel, de complicité et de créativité. Le « plus dur, plus fort, plus souvent, plus rapide… » devient « plus avec toi, plus proche, plus longtemps, davantage dans la fusion … » (Colson MH. Réaliser sa sexualité, 2001, La Martinière, Paris)
  • Se libérer des stéréotypes de genre : hommes et femmes peuvent apprendre de l’autre sexe ce qui leur a bien souvent échappé avant. Les hommes apprennent à être plus réceptifs en laissant venir leurs sensations, plutôt que de chercher à les provoquer activement. Les femmes apprennent à être plus actives dans la construction de leur plaisir comme dans celui de leur partenaire. 

En somme, « la question essentielle est de savoir comment transposer son langage érogène, le transcrire dans un autre vocabulaire, mettant en valeur, par exemple, la main et la bouche, le regard et la musique, le sommeil et la danse, pour dire à l’oreille ce que le coït prononçait à haute voix… et continuer à s’aimer. » (J.Waynberg, les idées reçues sur la sexualité, les guides santé Hachette, 1988, p 206)

Notre sexualité peut se concevoir comme une « optimisation sélective avec compensation ». Il devient alors possible d’accepter les modifications imposées par le vieillissement, sans pour autant renoncer à sa sexualité. 

 

 

Conclure sur la prise en charge

Les formidables progrès de la médecine sexuelle ont profondément modifié l’approche clinique de la sexualité des seniors et de nombreuses atteintes tant physiologiques que pathologiques deviennent, considérable progrès, accessibles à une thérapeutique médicale pertinente. Le praticien doit avoir à l’esprit que la sexualité est une relation humaine intégrale et non simplement une fonction biologique et mécanique  et qu’en cela, maintenir une sexualité heureuse avec l’âge exige  une vraie mutation dans ses scripts et que les sexologues peuvent y aider  leurs patients dans leur parcours de santé.                   La légitimité du praticien à aborder la santé sexuelle de ses patientes et patients vieillissants est totale car le bien être intime et sexuel est un des éléments essentiels du bien vieillir et, en cela un indicateur et un producteur de santé. Le « bien vieillir » se méfie de l’inertie et se nourrit du rythme et du mouvement de la vie. Comme le dit le philosophe, « J’avais besoin en jeunesse de m’avertir et solliciter pour me tenir en office…Il me fallait me méfier de la volupté… Je suis à présent (vieillissant) dans un autre état … Je me défends aujourd’hui de la tempérance comme autrefois de la volupté. Elle me tire trop en arrière et jusqu’à la stupidité. La sagesse a ses excès et n’a pas moins besoin de modération que la folie. » (Montaigne, Essais, III, V). Par ailleurs, une des recettes du bien vivre est d’être curieux de tout et de tous et de ne pas en avoir peur et, comme le dit Paulo Coelho, "Si vous pensez que l'aventure est dangereuse, essayez la routine, elle est mortelle."

Il reste à communiquer inlassablement pour que petit à petit les mentalités évoluent, y compris chez les soignants et que, dans le regard porté sur la sexualité de nos aînés la tendresse, la joie et la fierté remplace la défiance, la honte ou simplement la compassion.

André Corman